Interview avec Chantal Guyot, consultante au cabinet de conseil en tourisme rural Ter' Avenir d'Isère
“Le développement du tourisme à Tafraout est l'affaire de tous”
Le Conseil régional de Souss-Massa-Drâa et le Conseil général de
l'Isère en France ont conclu, en juin 2008, un accord de coopération
décentralisée dans le domaine du tourisme. Lequel accord porte sur un
accompagnement en matière de conseil et d'études pour établir des
diagnostics et recommandations en vue de la mise en place d'un plan
d'action visant la création d'un Pays d'accueil
touristique (PAT) dans la région de Tafraout.
Chantal Guyot, responsable du cabinet de Conseil Ter' Avenir, missionné
par le Conseil général de la région d'Isère dans le but de
l'élaboration d'un plan d'action pour la mise en place dudit PAT nous
présente une radioscopie de la situation.
Libé: Quelles sont les potentialités que vous avez recensées dans la
région pour établir votre diagnostic de la situation du secteur
touristique à Tafraout ?
Chantal Guyot : D'abord, le patrimoine naturel diversifié dont peut se
targuer la région. Nous avons réalisé une petite enquête, en janvier et
février, auprès d'un échantillon de deux cents touristes. Ceux-ci
trouvent sans conteste que les paysages de Tafraout sont
particulièrement grandioses et surprenants. Les montagnes du granit
rose qui ceinturent la ville lui confèrent un paysage époustouflant,
presque unique au monde. Pas très loin, la nature nous offre l'une des
plus belles vallées de l'Anti-Atlas : la vallée des Amelnes, au pied du
Djebel Elkest. Cette dernière, d'ailleurs, présente un lieu idéal pour
les activités de la randonnée, de l'escalade et de vol en parapente.
A Aït Mansour, vous avez une admirable oasis qui longe les gorges
forgées par les crues de l'oued dont le lit est encaissé entre ses
excentriques montagnes, jusqu'à Aflla Ighir, pour offrir une
merveilleuse boucle de balade. La région peut se vanter aussi de son
patrimoine architectural; une curiosité qui suscite l'attention des
admirateurs du bâti traditionnel. Les villages foisonnent encore de
vieilles maisons montrant des aspects de constructions impressionnants
mettant en exergue le savoir-faire des aïeux. D'autres gardent toujours
leurs forteresses (Iguidars), témoignant d'un mode d'organisation
tribal d'antan, ainsi que des anciennes medersa (écoles religieuses).
Vous avez aussi ces réseaux séculiers d'irrigation encore jalousement
préservés dans la vallée des Amelnes et Aït Mansour. Ils renseignent
sur les pratiques ingénieuses de gestion des réserves d'eau et leur
exploitation en tant que richesse collective rare.
Tout cela peut se substituer en lieux d'intérêts touristiques. Sans
oublier aussi ces sites préhistoriques qui abritent des centaines de
gravures rupestres à travers Oukkas, Tazkka, Timertmat… Vous avez
d'autre part un artisanat riche et des produits du terroir en abondance
traités par des coopératives locales: babouches locales (Tamnayt),
vannerie, huile d'argan, amandes… en l'occurrence. Un atout qu'on doit
au patrimoine humain existant qui a su générer et gérer un savoir-faire
séculaire. Bref, de quoi élaborer un produit touristique capable
d'attirer une clientèle aussi bien nationale qu'étrangère et s'imposer
comme destination incontournable dans l'arrière-pays d'Agadir.
Tafraout attire certes les touristes, sauf qu'on constate que le secteur tarde à décoller vraiment !
Là vous touchez les difficultés qui empêchent le développement réel de
la destination. C'est vrai que même avec tous ces atouts précités, cela
ne suffit pas pour avoir des touristes. Encore faut-il promouvoir ces
atouts. En effet, le premier constat négatif que relève notre
investigation, l’absence d'information touristique. Tafraout fonctionne
jusque-là comme une simple zone de transit, de passage touristique. Les
touristes y viennent en excursion, pour passer au mieux une nuit. Alors
que la région, grâce à ses richesses touristiques, peut retenir ses
visiteurs plusieurs jours. Donc on ressent un manque flagrant
d'information à même de convaincre les touristes à l'idée de prolonger
leur séjour, puisqu'ils ne savent pas trop quoi faire à Tafraout.
L'autre grand problème qui interfère, est celui de l'infrastructure
routière. Je parle des routes entre Tiznit-Tafraout-Agadir (via Aït
Baha). L'état de ce trajet ne milite pas sincèrement en faveur de la
promotion touristique de la région.
Au niveau de l'offre locale, on a remarqué un manque manifeste de la
mise en valeur des produits : Les accès à certains sites restent encore
à aménager. Les gravures rupestres, par exemple, ne sont pas facilement
accessibles par routes carrossables. Pis, elles ne sont pas protégées.
Elles subissent au quotidien les conséquences d'actes de vandalisme
infligés par les populations locales et de passage, qui ne sont pas du
tout sensibilisées à leur valeur touristique historique. Dans les
montagnes, les sentiers pratiqués pour le trekking, l'escalade, le
parapente… ne sont pas, ou sont mal, balisés. Du côté du patrimoine
architectural, on déplore que ce dernier s'éclipse doucement; ce
pan-vestige fait d'anciennes constructions qui resiste encore aux
outrages du temps, périclite peu à peu dans l'indifférence. Dans la
ville, pour ce qui est des panneaux d’information, on enregistre une
absence totale d’indications touristiques.
Les touristes, pour trouver certains sites, doivent se débrouiller
comme ils peuvent. Un autre handicap, et non des moindres, le
harcèlement des touristes par des rabatteurs et faux guides. C'est une
nuisance qui fait fuir les touristes en leur gâchant leur séjour dans
la ville. Ce fléau sape irrémédiablement le secteur. Les opérateurs
nous ont beaucoup parlé de cela et de leurs plaintes qui sont restées
sans suite auprès des autorités locales. On peut citer aussi l'impact
négatif de l'émigration. Ces flux de partants ont vidé la région de ses
forces juvéniles actives.
Les habitants qui y restent, sont pécuniairement sous perfusion de ce
phénomène qui rapporte gros certes à la région. C'est pourquoi alors on
assiste à une faiblesse d'initiative, de motivation pour travailler le
tourisme. A cela s'ajoute aussi le manque patent de formation
professionnelle chez les gens qui opèrent dans le domaine. On peut
évoquer à titre indicatif, le secteur hôtelier qui en pâtit en premier
lieu. Ce qui ne suit pas, il faut le souligner, sa forte offre
diversifiée (hôtels classés, auberges, maisons d'hôtes…) qui aurait pu
faire appel à des ressources humaines aux compétences requises. Il faut
signaler aussi ce problème de pollution de l'environnement, fort
compromettant pour l'esthétique des paysages. Donc c'est un grand défi,
un énorme chantier, qui interpelle les opérateurs et les acteurs du
secteur.
Concernant votre étude, où en est-on maintenant ?
Je peux vous dire que la grande étape est désormais réalisée. Le
travail de diagnostic est d'une importance cruciale. Il permet d'avoir
une grande visibilité sur le champ du travail. On sait maintenant ce
que Tafraout possède comme produit et ce qui retient le démarrage du
tourisme dans cette contrée. Un plan d'action nous attend donc; il sera
bientôt disponible. Une sorte de feuille de route qui permettra d'aller
plus loin… Une fois prêt, nous le soumettrons aux acteurs locaux
concernés. Là, je suis persuadée que la situation actuelle du tourisme
dans la région a besoin d'un travail de fond pour l'améliorer. Et cela
ne peut être atteint si les acteurs locaux n'adhèrent pas tous à ce
projet.
C'est vrai toutefois que c'est difficile de convaincre tout le monde
quant à sa pertinence, tant que chacun tire la couverture à soi. Mais
ces opérateurs bénéficiaires du projet doivent savoir qu'ils ont
intérêt à s'organiser dans des structures associatives capables de
fédérer leurs efforts et donner lieu à des synergies. Une fois ce stade
franchi, on doit s'attaquer au reste. Il faut mieux peaufiner le
produit et formaliser une bonne offre, le rendre accessible, savoir
bien communiquer sur ce produit pour le vendre, améliorer l'accueil en
éradiquant cette gangrène des faux guides et rabatteurs qui est en
train de miner les efforts déjà consentis dans le domaine, préserver
l'environnement, parier sur la clientèle individuelle qui s'avère être
très prometteuse pour la région, tant les voyages organisés classiques
ne profitent pas à tous …
Ce sont là, grosso modo, les grandes lignes de ce projet. Sans oublier
qu'il faut trouver aussi, les financements nécessaires pour concrétiser
ce plan, car cela ne sert à rien de faire des études et les ranger dans
les tiroirs de l'oubli.
A lire les guides du Routard, Le Michelin, le Futé etc., ainsi que
cette étude même menée par vous, on a un peu l'impression que ce sont
les autres qui viennent faire un travail qui incombe au ministère, à la
Fédération du tourisme, aux acteurs et opérateurs du secteur.
C'est vrai, c'est un peu cela !. Mais je peux vous dire comment ça
s'est construit à la base en France. C'est un peu la même chose. Ce
sont les gens du coin qui ont travaillé leurs régions. Cependant, que
des étrangers viennent découvrir et fassent découvrir votre région,
c'est une chance qu'il faut saisir. C'est vrai qu'ils ont leurs
clientèles, leurs visions…. Toutefois, les expériences en la matière en
France ont montré que si l'initiative vient d'en bas, elle réussit.
Contrairement, si un tel travail est catapulté d'en haut, ce n'est pas
évident que ça prenne.
Vous avez un exemple édifiant pas très loin de Tafraout, celui
d'Imouzzar Idaoutanane. Le projet du PAT le concernant fignolé par le
ministère, trouve du mal à se concrétiser. Et pour cause !. Les
opérateurs et les acteurs locaux n'y sont pas tout simplement associés.
Donc, c'est aux acteurs tafraoutis de s'organiser, de montrer ce qu'ils
ont et ce qu'ils peuvent faire pour développer le tourisme dans leur
région. C'est ainsi qu'ils parviendront à imposer leur destination dans
les brochures et sites du ministère et autres organismes de promotion
touristique.
On constate une montée en flèche des investissements dans le domaine
de l'hôtellerie dans la région (hôtels, auberges, maisons d'hôtes,
camping…), des structures d'accueil fortement consommatrices d'eau
(douches, piscines, jardins…), alors que la région est connue pour ses
déficits structurels en ressources hydriques. Qu’en pensez-vous?
C'est vrai. C'est une problématique que nous n'avons pas trop
appréhendée. Cela nous renvoie à penser aux soucis du tourisme durable
qui cherche à concilier les « tyranniques » exigences des objectifs
économiques du développement touristique, et ce, sans compromettre les
ressources indispensables à son existence. Le concept des PAT insiste
aussi sur la préservation des ressources naturelles des populations
locales. Et cela, à mon avis, doit commencer par la sensibilisation des
voyageurs à cette question cruciale. Je pense que les touristes qui
choisissent, pour voyager, de le faire dans le cadre d'un tourisme
solidaire et rural, sont acquis à cette idée.
Et tant qu'on y est, je veux évoquer un autre aspect cette fois-ci
d'atteinte à l'environnement. Ce n'est autre que la pollution de la
nature; laquelle s'avère être doublement, une pollution visuelle. C'est
désolant, on ne se gêne pas à s'improviser des décharges d'ordures un
peu partout dans la nature. Et la décharge de la ville de Tafraout,
située à son entrée, c'est le comble. On regrette en plus qu'un si joli
paysage touristique soit voué ainsi aux gémonies des écœurantes
émanations, des sacs en plastique enlaidissant les champs attenants,
des fumées irrespirables …. Les collectivités locales, qui sont des
acteurs touristiques primordiaux, sont interpellées par cet état de
fait. On ne peut pas concevoir un développement touristique sans
l'implication de l'action de ces entités institutionnelles. En France,
elles sont très engagées dans ce sens et le résultat ne s'est pas fait
attendre.
Sce: LIBERATION
ENTRETIEN REALISE PAR IDRISS OUCHAGOUR
Lundi 16 Novembre 2009